Peut-on être soi-même dans l’environnement professionnel ?

« Oser être soi-même », c’est le titre d’un atelier que j’ai animé au sein d’une entreprise en tout début d’année. A l’issue de l’atelier, une participante a exprimé  sa déception : j’avais traité de comment identifier ses forces, ses talents individuels mais pour elle, je n’avais pas répondu à la question : « peut-on être soi-même au travail ? ». Électrochoc. Le « hors-sujet » sur votre copie de philo en terminale.Quelques mois plus tard, je reviens sur ce sujet et m’interroge : comment ne pas avoir le sentiment de jouer un rôle au sein du monde professionnel ? Comment, à terme, ne pas se perdre ?

LE SALARIE, ÊTRE SCHIZOPHRÈNE...

Après un débrief avec la responsable qui m’avait engagée et une remise en question, j’ai identifié qu’une des raisons était que pour cet atelier, comble de tout, j’avais plaqué un contenu que l’on m’avait suggéré (comme parfois dans la formation) et que je ne me l’étais pas suffisamment approprié. Finalement je m’étais calée sur ce qu’on attendait de moi au lieu de défendre ma vision, d' exprimer mes doutes, de faire clairifier mes incompréhensions. J’ai voulu montrer une version de moi idéalisée par rapport à la réalité : une formatrice particulièrement aguerrie à ce sujet.J’ai bien conscience que nous pouvons être amenés à nous comporter dans le monde du travail de manière légèrement différente que dans la vie personnelle. En tout cas, à mettre plus ou moins en avant certaines de nos qualités, certains de nos fonctionnements. Vouloir « montrer le meilleur de nous » ou une version « business ». En revanche, comment font ceux qui disent se dissocier totalement entre le travail et la maison ? Pour moi, nous restons la même personne avec ses expériences préalables, son histoire personnelle, ses problèmes du quotidien…Quand je coache une personne, je m’attache à lui permettre de faire le travail inverse : à se définir en partant d’elle et non de ce qu’elle a intégré qu’on attendait d’elle professionnellement. Prendre conscience de ses comportements, de ses moteurs, de son mode de communication pour l’intégrer et être capable ensuite de lâcher le masque.Lâcher le masque, essayer d’être le plus authentique, de partager son ressenti ou son avis ne signifie pas un blanc seing pour dire tout ce qui nous passe par la tête ou de ne plus faire aucun effort dans la forme. Pour Jung, il reste la persona, le maque social. Ma vision est de trouver comment ne pas en être dupe ou esclave et ne pas devoir faire le grand écart au quotidien. L'idée  est de savoir tenir compte de l’autre, le respecter tout en réussissant à s’affirmer. Exprimer sa vision des choses tout en étant ouvert au débat et à l’échange.

... OU ROBOT AVANT L'HEURE ?

Une de mes coachées me rapportait ainsi une conversation où son interlocuteur lui avait dit suite à un différend

« tu sais, j’ai les mêmes valeurs que toi, mais moi je les laisse à la maison, je ne les affiche pas au bureau ».

L’idée de pouvoir oublier ses valeurs dans la sphère professionnelle me semble antagoniste avec le concept de valeurs. Les valeurs sont les attitudes que nous valorisons, que nous défendons, qui nous sont chères et qui, même lorsque qu’on est pacifiste, peuvent nous mettre hors de nous quand elles sont bafouées.Pour moi, c’est là que réside mon erreur lors de l’atelier évoqué précédemment, il ne suffit pas pour être soi-même dans le monde du travail d’utiliser ses talents, de faire un job qui nous plait et d’être sincère, il faut pouvoir le faire dans un environnement qui est cohérent avec nos valeurs.Quand j’ai entendu cette remarque de laisser ses valeurs au vestiaire, ma première idée a été de me dire « c’est impossible !». Et à terme, qu’est ce qui nous différencie des robots ? Que devient notre conscience ? On la laisse également au vestiaire avant de mettre sa blouse du travail. En théorie cela semble impossible, mais la réalité est toujours plus complexe. Nous avons chacun des valeurs plus ou moins fortes. Nous pouvons être faibles conjoncturellement. Nous pouvons avoir peur de perdre notre confort personnel. Nous pouvons avoir peur d’être licencié. Nous pouvons avoir intégré que lorsqu’on est au bureau, on est une autre personne, le boulot c’est le boulot et cela justifie de se transformer en Mr Hyde.Bien sûr, lorsque les valeurs auxquelles nous tenons ne sont pas respectées au quotidien, le sentiment d’écartèlement n’est pas loin. On essaie pourtant souvent de ne pas en tenir compte :« Oui cette entreprise ne valorise pas ce qui est clé pour moi mais le travail est intéressant, j’ai des collègues sympa et j’ai peur de ne pas retrouver un travail aussi bien payé… »A la longue et quand cela implique des actes en opposition avec ses valeurs, cette situation n’est pas tenable et provoque une réelle souffrance éthique. Cette dernière est définie par Christophe Dejours comme la souffrance qui résulte de la réalisation d’actes que le salarié réprouve moralement. Finalement, être soi, utiliser ses talents, aimer son job, avoir le sentiment d’être aligné avec ses valeurs, de les défendre, d’exprimer ses idées, d’être authentique me semble plus l’exception que la règle parmi les personnes de mon entourage. Cela nécessite aujourd’hui un travail sur soi et un courage dont on se sent parfois incapable.Et nul n’est à blâmer car cela nécessite parfois un virage à 180° et de plus, comme dirait notre défunt ami Georges,

« Mourons pour des idées, d'accord, mais de mort lente.D'accord, mais de mort lente."

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Avez vous le sentiment d’oser être vous-même dans la sphère professionnelle ?

Georges, what else ?https://www.youtube.com/watch?v=iZpNgSaYWts